Le militant écologiste, adversaire acharné des baleiniers nippons depuis des décennies, a été arrêté au Groenland (Danemark) le 21 juillet en raison d’un mandat d’arrêt émis par Tokyo par le biais d’une notice rouge d’Interpol. Le Japon ne cache plus son intention de reprendre officiellement sa chasse commerciale à la baleine dont il annonce ce jeudi l’extension au rorqual commun. Jointe par RFI à Nuuk, la présidente de Sea Shepherd France s’insurge contre « un dossier politique ».
« Le ministère de la Justice a reçu mercredi 31 juillet des autorités japonaises une demande officielle d’extradition concernant Paul Watson », a déclaré ce jeudi le ministère danois de la Justice. La démarche diplomatique japonaise est tout sauf une surprise. Tokyo voulait depuis longtemps mettre le grappin sur le marin canadien, connu pour ses coups de force contre les baleiniers et son activisme contre la pêche industrielle, qui s’efforce d’entraver ses campagnes baleinières depuis près de quarante ans. « Cette demande confirme simplement la détermination du Japon d’en finir avec Paul Watson. Il est vraiment dans une logique de vengeance parce qu’il considère qu’il les a humiliés », regrette auprès de RFI Lamya Essemlali, présidente de l’antenne française de Sea Shepherd. Lorsque le capitaine du John Paul DeJoria a fait escale au Groenland pour se ravitailler en carburant, il faisait route vers le Pacifique Nord pour intercepter le Kangei Maru, nouveau navire-usine baleinier du Japon. Le pays a officiellement relancé sa chasse commerciale à la baleine en 2019 pour augmenter sa consommation de viande, malgré le moratoire en vigueur depuis 1986.
Les autorités japonaises le poursuivent pour avoir causé des dommages et des blessures lors de deux incidents survenus dans l’océan Antarctique en 2010 à l’encontre d’un navire baleinier japonais. « Le mandat d’arrêt n’a pas lieu d’être parce que Paul Watson est accusé d’avoir fait respecter un moratoire international sur un sanctuaire baleinier en Antarctique et parce qu’il n’a rien commis des actes que les Japonais l’accusent d’avoir faits », proteste Lamya Essemlali, membre du cercle rapproché de Paul Watson, actuellement à Nuuk, capitale du Groenland où il est détenu.
Le mandat d’arrêt international a été émis par le Japon au mois de juin 2024 par le biais d’une notice rouge d’Interpol, restée confidentielle. Depuis 2012, une précédente notice rouge, était publiquement diffusée par la police intergouvernementale, mais elle avait disparu du site « depuis un an », selon les avocats de l’ONG, laissant croire qu’elle n’était plus active. « On a tous baissé la garde », regrettait l’ONG après son arrestation, et « il s’est fait piéger ».
« Interpol aurait dû mieux étudier le dossier et a failli en acceptant de mettre ce mandat d’arrêt sur une notice rouge puisqu’il est de toute évidence motivé par des raisons politiques qui visent à traquer un activiste qui s’oppose à la chasse baleinière dans le sanctuaire antarctique. » Or, une notice rouge ne peut être déclenchée pour des raisons politiques et l’agence de police intergouvernementale est censée filtrer les demandes abusives de notices, que certains pays utilisent pour traquer des opposants politiques. Un rapport du Parlement européen pointait, en 2015, les dérives de la notice rouge.
Peine de quinze ans encourue au Japon
L’extradition n’est pas automatique. Le militant a été placé en détention jusqu’au 15 août, date à laquelle la Haute cour du Groenland prendra une décision sur une prolongation ou non de cette privation de liberté après un appel formulé par le militant et ses avocats. En parallèle, une fois les documents officiels reçus par le ministère danois de la Justice de la part des autorités japonaises, l’affaire sera transmise à la police du Groenland, territoire autonome danois, qui entamera des enquêtes pour déterminer s’il existe un motif d’extradition – en vertu du droit groenlandais. Le cas échéant, l’affaire sera soumise au ministère de la Justice pour une décision finale. Il est également possible pour le ministère danois de rejeter d’office cette demande d’extradition, c’est-à-dire avant de transmettre le cas à la police groenlandaise.
Le Danemark est donc souverain de cette décision, mais il doit se conformer à son droit national et au droit européen, notamment à la Convention européenne des droits de l’homme, tous protecteurs sur les processus d’extradition. « Un pays de l’Union européenne ne peut en aucun cas extrader quelqu’un vers le Japon, parce que le Japon est condamné par la Cour internationale des droits de l’homme, et que de multiples rapports d’ONG qui pointent du doigt les traitements inhumains et dégradants dans ces prisons », alerte Lamya Essemlali. Pour Me François Zimeray, l’un des avocats de Paul Watson, ex-ambassadeur au Danemark, contacté par l’AFP, « l’enjeu pour la défense est désormais de montrer à la justice danoise que le Japon est dans une logique de vengeance et non de justice et que ce pays ne respecte pas les standards internationaux sur le procès équitable et les prisons. » Copenhague « se devra de vérifier qu’en cas de remise, les droits de Paul Watson seront respectés, mais aussi que la justification de la demande d’extradition ne soit pas politiquement motivée », attestait la semaine dernière l’avocat en droit pénal international William Julié.
Au Japon, le militant encourt une peine d’emprisonnement de plus de quinze ans. L’entourage du marin, âgé de 73 ans, craint donc qu’un transfert en Asie ne lui soit fatal. « Envoyer Paul Watson au Japon, qui ne résistera pas à ce genre de traitements, c’est envoyer à la torture et la mort quelqu’un qui a sauvé des milliers de baleines dans un sanctuaire international où le Japon agissait en toute impunité. Il faut que le Danemark et que tout le monde ait conscience de ça », prévient encore Lamya Essemlali. Son épouse Yana Watson a publié jeudi une photo de lui aux côtés de leurs deux enfants sur son compte Facebook, implorant la reine et le roi du Danemark de « libérer Paul ». « Il souffre du diabète de type 1. La prison japonaise sera mortelle pour lui », a-t-elle aussi plaidé.
Le « capitaine » Watson, comme il se faisait appeler, résidait en France avant son dernier départ. À ce titre et pressé par une pétition signée par 680 000 personnes depuis le 21 juillet, Emmanuel Macron est intervenu auprès du gouvernement danois pour plaider en sa faveur. Une lettre ouverte a été envoyée le 24 juillet par 68 parlementaires français et européens à la Première ministre Mette Frederiksen, l’enjoignant à ne pas l’extrader. La célèbre primatologue et anthropologue Jane Goodall a elle aussi demandé sa libération, affirmant qu’il s’« agissait simplement de tenter d’empêcher la pratique inhumaine de la mise à mort des baleines, interdite par la plupart des pays depuis des décennies ».
« Un dossier politique »
Mais le Danemark n’est pas non plus un allié du skipper. Depuis 1986, l’ancien militant de Greenpeace s’oppose aux massacres rituels de dauphins aux îles Féroé, territoires danois. Le Danemark, pourtant signataire des conventions de protection des mammifères marins, mobilise ses frégates militaires pour empêcher les navires de Sea Shepherd de sauver les cétacés et permettre aux Féringiens de perpétrer leurs traditions. Paul Watson et Sea Shepherd « sont un énorme caillou dans la chaussure du Danemark et ils ont maintenant l’opportunité de s’en débarrasser », soupire Lamya Essemlali. « Il ne faut pas se leurrer : ce n’est pas seulement un dossier légal, c’est un dossier politique avant tout ».
L’activiste, devenue son bras droit depuis près de deux décennies, lui a rendu visite au Groenland ces derniers jours. « Il va bien », dit-elle, « je lui ai fait part de l’ampleur de la mobilisation, qui lui a fait chaud au cœur ». « Il ne se laisse pas du tout abattre » mais « il s’attend [à son extradition], il est dans l’acceptation de son sort. Il a toujours dit que ce qu’il faisait comportait des risques parce qu’il s’opposait à des intérêts économiques et politiques puissants. Mais pour nous, il est impensable que l’issue soit celle-là. Cela voudrait dire que l’humanité va vraiment très mal. »
Le Japon est l’un des trois seuls pays au monde à chasser les baleines à des fins commerciales, aux côtés de la Norvège et de l’Islande. Ce jeudi, concomitamment à sa demande de livrer Paul Watson, Tokyo annonce étendre sa chasse commerciale à la baleine au rorqual commun, deuxième plus grand mammifère vivant sur la planète. Sa liste de cétacés ciblés comprend déjà le petit rorqual, le rorqual de Bryde et le rorqual boréal. « Notre principale justification, c’est qu’il y a des ressources suffisantes » de baleines à nageoires, a déclaré jeudi à l’AFP un responsable de l’agence de pêche dont l’objectif vise à en prendre 59 cette année. Les rorquals communs sont considérés comme « vulnérables » par l’Union internationale pour la conservation de la nature.