Le Prix Nobel Muhammad Yunus arrive au Bangladesh pour former un gouvernement

Ce gouvernement dirigé par l’économiste de 84 ans est mis sur pied après des violences qui ont fait plus de 400 morts, et la fuite de la première ministre qui a démissionné.

Il a pour mission de mener « un processus démocratique » vers des élections rapides. Le Prix Nobel de la paix Muhammad Yunus est arrivé, jeudi 8 août, au Bangladesh pour prendre la tête d’un gouvernement intérimaire, qui devrait prêter serment dans la foulée, trois jours après la fuite de l’ancienne première ministre au terme de semaines de manifestations. Il a atterri, comme prévu, peu après 14 heures à Dacca (10 heures, heure de Paris), après une escale à Dubaï.

A son retour dans le pays, M. Yunus a salué une « deuxième indépendance » du Bangladesh. « Le Bangladesh s’est créé un nouveau jour de victoire », a déclaré devant la presse et ses partisans l’économiste de 84 ans peu après avoir atterri dans la capitale, Dacca, saluant un « jour glorieux ».« Nous ne pouvons pas avancer si nous ne réglons pas la situation en matière de loi et d’ordre », a-t-il déclaré devant la presse et ses partisans peu après son arrivée.

Ce gouvernement dirigé par le Nobel de la paix est mis sur pied après des violences qui ont fait plus de 400 morts et ont provoqué la fuite de la première ministre déchue Sheikh Hasina. Il devrait prêter serment jeudi « vers 20 heures » (16 heures, heure de Paris) au cours d’une cérémonie « en présence a priori d’une centaine de personnes », a annoncé le chef de l’armée, le général Waker-Uz-Zaman. L’officier s’est dit « certain », dans un discours télévisé à la nation, que Muhammad Yunus serait « capable de mener un beau processus démocratique » en faveur de la population.

Le Prix Nobel, qui a lancé « un vibrant appel au calme » à ses compatriotes, est parti mercredi de Paris. « Je vous demande de vous abstenir de toute forme de violence » et « soyez prêts à construire le pays », a-t-il déclaré dans un communiqué.

Le banquier des pauvres

Il a promis mercredi, dans le magazine britannique The Economist, qu’il ferait tout pour que des « élections libres et équitables soient organisées dans les prochains mois », mais qu’il fallait que les jeunes « ne soient pas obsédés par les règlements de comptes, comme l’ont été trop de nos gouvernements précédents ».

Tarique Rahman, président par intérim du Parti nationaliste du Bangladesh (BNP), principal mouvement d’opposition à Sheikh Hasina, a également appelé mercredi à l’organisation d’un scrutin « le plus vite possible », dans un discours vidéo adressé de son exil londonien à une immense foule dans la capitale, Dacca.

Le retour de Muhammad Yunus a été facilité par son acquittement mercredi dans un procès en appel pour infraction au droit du travail. Sa condamnation à six mois de prison en première instance en janvier, la seule prononcée contre lui sur plus de cent procédures pénales le visant, était considérée comme politique par ses défenseurs. Il avait alors quitté le pays.

La décision de « former un gouvernement intérimaire (…) avec Yunus comme chef » a été prise à l’occasion d’une rencontre entre le président Mohammad Shahabuddin, de hauts dignitaires de l’armée et des responsables du collectif Etudiants contre la discrimination, le principal mouvement à l’origine des manifestations déclenchées début juillet, a annoncé mercredi la présidence bangladaise.

L’économiste, connu pour avoir sorti des millions de personnes de la pauvreté grâce à sa banque de microfinance, pionnière en la matière, s’était attiré l’inimitié de Mme Hasina, qui l’accusait de « sucer le sang » des pauvres.

Une enquête « impartiale » sur les manifestations

Le président Shahabuddin a dissous mardi le Parlement, comme le réclamaient les étudiants protestataires et le BNP, un jour après avoir ordonné la libération des personnes arrêtées pendant les manifestations et des prisonniers politiques.

Autre signe d’apaisement, le nouveau chef de la police, Mainul Islam, a promis mercredi une enquête « impartiale » sur les morts liées aux manifestations et présenté ses excuses pour la conduite de ses prédécesseurs, limogés par le président. Il a demandé aux policiers, en grève depuis mardi pour protester contre les attaques dont ils font l’objet, de reprendre le travail jeudi. L’armée a elle aussi procédé à plusieurs remaniements parmi ses hauts gradés, notamment en rétrogradant certains d’entre eux jugés proches de Mme Hasina.

Au moins 432 personnes ont été tuées durant le mouvement de contestation, dont au moins 122 lundi, la journée la plus meurtrière, selon un décompte de l’Agence France-Presse (AFP) reposant sur des sources policières, gouvernementales et médicales.

Des millions de Bangladais étaient descendus lundi dans les rues de Dacca. Les manifestants avaient envahi le Parlement, incendié des chaînes de télévision progouvernementales et brisé des statues du père de la première ministre déchue, Sheikh Mujibur Rahman, le héros de l’indépendance. Les bureaux de la Ligue Awami, le parti de Mme Hasina, ont été incendiés et pillés à travers le pays. Des commerces et des maisons appartenant à des hindous – un groupe considéré par certains comme proches de Mme Hasina – ont également été attaqués, selon des témoins.

Réfugiés à la frontière

Depuis, « plusieurs centaines de ressortissants bangladais, pour la plupart hindous, se sont rassemblés en différents endroits le long de la frontière » avec l’Inde, a déclaré Amit Kumar Tyagi, inspecteur général adjoint de la Force de sécurité frontalière (BSF) de l’Inde.

Au niveau du district indien de Jalpaiguri, plus de 600 Bangladais se sont rassemblés dans le no man’s land, a détaillé M. Tyagi. « Comme il n’y a pas de clôture ici, le personnel de la BSF a formé un bouclier humain pour les tenir à distance », a-t-il déclaré à l’AFP.

Les manifestations au Bangladesh avaient commencé au début de juillet après la réintroduction d’un régime réservant près d’un tiers des emplois dans la fonction publique aux descendants d’anciens combattants de la guerre d’indépendance. Le gouvernement Hasina avait été accusé par les organisations de défense des droits humains de mettre à son service les institutions pour asseoir son emprise et éradiquer toute dissidence.

Revenue au pouvoir en 2009, Sheikh Hasina, 76 ans, avait été élue en janvier pour un cinquième mandat lors d’un scrutin sans véritable opposition. Elle a fini par être désavouée par l’armée et s’est enfuie lundi en hélicoptère vers l’Inde.

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