L’Afrique pourrait-elle voir s’ouvrir sur son sol un nouveau front dans le conflit russo-ukrainien ? Après le revers sans précédent subi par le groupe paramilitaire russe Wagner fin juillet contre les Touaregs au nord du Mali, l’Ukraine affirme avoir eu un rôle clé dans la bataille. Cité mardi par les quotidiens britanniques le Guardian et le Times, Andrii Yusov, le porte-parole du GUR, le service de renseignement militaire de l’Ukraine, a déclaré que «les rebelles ont reçu les informations nécessaires, et pas seulement des informations, qui ont permis de mener à bien une opération militaire contre les criminels de guerre russes».
Entre le 25 et le 27 juillet, une colonne d’une cinquantaine de véhicules comprenant plus de 80 mercenaires russes et leurs partenaires des Forces armées maliennes (FAMa) a été prise dans une embuscade dans le septentrion malien, tendue par les rebelles Touaregs et des membres du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (JNIM), lié à al-Qaïda. Si le bilan est encore incertain, des chaînes Telegram liées à Wagner – désormais appelé Africa Corps – ont annoncé avoir subi de lourdes pertes. Plusieurs vidéos sur les réseaux sociaux montrent des cadavres d’hommes blancs et de soldats maliens gisant au sol, d’autres faits prisonniers.
Des contacts à l’initiative des rebelles
Les renseignements ukrainiens n’ont pas précisé la nature ni la portée de leur implication. Ont-ils fourni des informations sur le déplacement du convoi russo-malien ? Ont-ils envoyé des instructeurs ? Le porte-parole du GUR a indiqué qu’il ne donnerait «pas de détails pour le moment», mais promis que «d’autres informations suivront».
Le spécialiste de la zone Wassim Nasr, pour sa part, invite à la prudence sur cette déclaration qui ressemblerait, selon lui, davantage à une opération de communication qu’à la révélation d’un appui effectif. «Il y a bien eu des contacts il y a quelques mois, à l’initiative des rebelles Touaregs. Mais rien de déterminant pour la bataille qui a eu lieu», nuance l’analyste, journaliste pour France 24 et spécialiste des mouvements djihadistes et chercheur au Soufan Center.
Pour le moment, seule la chaîne russe RT, financée par l’État russe, a affirmé avoir les preuves de l’implication d’instructeurs ukrainiens aux côtés des rebelles Touaregs du nord du Mali. De son côté, le Kyiv Post a publié une photo, non authentifiée, montrant un drapeau ukrainien arboré par les Touaregs. Si cette photo serait selon les observateurs antérieure à la bataille de Tine Zaouatine fin juillet, elle a largement circulé sur les réseaux sociaux depuis l’embuscade.
Lutte «commune» contre les Russes
De leur côté, les groupes Touaregs qui, depuis 2012, réclament l’indépendance du Nord, appelé Azawad, vis-à-vis des autorités maliennes siégeant à Bamako, la capitale, multiplient les parallèles entre leur combat et celui de l’Ukraine. Dans leurs communiqués, ils parlent d’une «guerre existentielle contre la Russie» et postent sur les réseaux sociaux des photos du drapeau ukrainien. Un porte-parole d’une alliance de groupes armés séparatistes, le CSP-DPA, a même proposé lundi, «en signe de soutien et de solidarité», de remettre des mercenaires prisonniers à Kiev. «Chers frères ukrainiens (…) ce geste vise à vous aider dans votre lutte pour la justice et la liberté. Nous espérons qu’il contribuera à renforcer nos liens et notre victoire commune», a écrit le Touareg sur X.
Pour Wassim Nasr, les rebelles ont tout avantage à alimenter ce parallèle qui, en plus de légitimer leur combat, est pour eux «synonyme de soutien occidental». «Il est de leur intérêt de présenter les choses ainsi : nous et vous, même combat contre les Russes», souligne le chercheur.
L’exportation du conflit russo-ukrainien sur le continent africain avait déjà été illustrée par le passé sur un autre terrain, au Soudan. En novembre 2023, des vidéos publiées par le Kiyv Post, certaines authentifiées par Le Monde et d’autres par CNN, montraient des images d’une opération terrestre et de frappes probablement menées par les services spéciaux ukrainiens, contre une milice soudanaise, les Forces de soutien rapide (RSF), dans la périphérie de Khartoum, capitale soudanaise. Cette milice est elle-même soutenue par les mercenaires russes Wagner, présents depuis 2017 dans ce pays riche en mines d’or, source précieuse pour soutenir l’effort de guerre en Russie.
Une source ukrainienne consultée par Le Monde confirmait que des membres des forces spéciales ukrainiennes, membres du renseignement militaire, résidaient alors en permanence au Soudan, devenu une voie centrale du trafic d’or.